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Monsieur Roman
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16 juin 2012

La construction de la mémoire

Dans son écrit Maurice Roman ne cesse de bifurquer, dévier, changer de sujet, de thème comme si le récit linéaire lui était insupportable. Il suit le cheminement associatif de sa mémoire et l’on devine à le lire que c’est par le récit que ses souvenirs apparaissent. Alors qu’il croit ne se souvenir de rien, chaque mot du récit qu’il tente, chaque image lui rappelle autre chose comme si sa mémoire, loin d’être un stock d’archives mortes, se construisait au fur et à mesure de ses explorations. Parler d’un livre lui amène ainsi un souvenir précis : « j'ai retrouvé aussi un livre de la collection Nelson. Qui connaît encore ça ? Mon père s'y était abonné dès qu'elle avait commencé vers 1930. De jolis petits livres format poche qui ont bercé mon enfance. Ce livre est : Les feuilles d'automne de Victor Hugo. L'ayant lu alors que je devais avoir 12 ou 13 ans, j'en garde un souvenir ébloui. » Et cette incise nous révèle l’importance que la lecture avait dans sa vie, le soin que son père, dans ce village coupé de tout où il vivait, par son gramophone, par le soin mis à rassembler une bibliothèque, prenait à éveiller son jeune esprit, à le tenir à l’écart de toute la mesquinerie qui peut se rassembler dans un petit village isolé et sauvage: « La Roche n’était pas le village idéal que mes descriptions antérieures pourraient laisser croire : haines, jalousies, querelles, rivalités, rancœurs, inimitiés, rancunes, aigreurs, ressentiments, bassesses… toute la panoplie des sentiments négatifs humains se développaient dans ce microcosme comme virus dans des cultures cellulaires in vitro. Sous ses apparences paisibles et même parfois harmonieuses, le village était un bouillon de culture dans lequel j’ai baigné dès l’enfance et où mon esprit s’est lentement immunisé contre les mesquineries humaines. Jusqu’à l’âge de 11 ans, vivant dans une liberté presque totale, j’étais un petit sauvageon des campagnes. Dans l’école de mon père, j’avais, comme compagnon de mon âge une fille Marie Champbreton, et André Bouviala un garçon d’un an plus âgé que moi. Dans une école à classe unique, les classes sont des notions souples et, tous les trois, depuis le cours préparatoire, nous nous considérions comme du même niveau si toutefois ce terme pouvait avoir un sens dans un tel contexte.”

Puis son récit reprend son cours: «Neuf mois après cet épisode amoureux, je venais au monde. Mais, entre temps il y eut les rituels sociaux : mon père demandant solennellement la main de Marguerite au père Mazel, titre que recevaient alors dans ces campagnes tous les hommes mariés de plus de cinquante ans, sous les yeux attendris de sa femme Justine — prénom qui ne devait rien à Sade —, née Lafourcade. A-t-il attendu le prochain lundi où il devait manger chez eux ? Connaissant mon père et son sens de l’étiquette sociale, je ne le pense pas. Je l’imagine plutôt, un de ces soirs où il ne mangeait chez personne, allant, cravaté, gants en pécari à la main, dans son unique costume, frapper à leur porte pour demander, loin des femmes et des enfants, un entretien sérieux avec Monsieur Jules Mazel. »

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