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Monsieur Roman
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23 juin 2012

Maurice Roman et la musique

Son père avait un gramophone Horn à manivelle acheté dès son retour de la guerre. C’était une grande machine qui imposait le respect avec son socle de chêne, son plateau tournant recouvert de feutre vert et surtout son gigantesque pavillon dont l’ouverture, vue de face, formait une marguerite magique aux pétales verts. Son père était fou de musique, surtout de variétés même s’il lui arrivait d’écouter de la musique classique ou, parfois, ce qu’il appelait sans intention méprisante, de la musique nègre. Dès qu’il avait une minute, il tournait la manivelle de son gramophone — action qu’il fut longtemps le seul à avoir le droit d’accomplir — et surtout, posait avec une attention méticuleuse l’aiguille sur le shellac, cette gomme laque issue de la sécrétion d'une cochenille asiatique, puis, plus tard, sur la bakélite de ses si précieux disques. Lorsque, pour une raison ou une autre, il devait « descendre » à Mende, chef-lieu du département, soit avec un paysan allant au marché ou à la foire, soit en marchant jusqu’au village de Rieutort-de-Randon puis en prenant l’autobus quotidien, soit en faisant du stop (solution alors très aléatoire) sur la départementale, son père rendait systématiquement visite au bazar qui jouait alors le rôle de disquaire et lui commandait et mettait de côté quelques « nouveautés » du disque. Il revenait alors à leur maison de La Roche avec la joie, les précautions d’un moine portant des reliques saintes et, pendant quelques jours, l famille, ébahie, découvrait ces chants, chansons, musiques grinçantes et craquantes qui nous semblaient le summum de l’art et de la modernité et qui, lorsque le temps autorisait à ouvrir les fenêtres arrosait le village de leurs notes. Les paysans en étaient mi-amusés, mi-jaloux et ce rôle de diffuseur de la culture moderne renforçait l’image de génie de son père.

La musique s’installa ainsi au cœur de la vie de Maurice Roman. Une musique facile, populaire. Ces airs anodins que l’on croit sans poids ni intérêt mais que l’on se surprend à fredonner sans y penser. Et dont on ne peut plus se défaire. La musique. Ses mots, la sonorité de ses mots, puis son style. On sent chez lui ce souci de la phrase fluide ; sans heurts. La recherche de musicalité prime sur tout autre effet. La phrase semble naturelle, évidente, on l’absorde avec la facilité d’un verre de rosé de Provence en été, pour s’apercevoir, trop tard, que l’ivresse est là, que nous en avons trop absorbé, que, si c’était possible, il faudrait revenir en arrière pour mieux en apprécier les arômes. La musique comme l’air qu’on respire, l’eau qu’on boit, avec laquelle on se lave, la musique comme mode d’être. Pourtant je ne crois pas que Maurice Roman ait appris à jouer d’un instrument, ni qu’il ait appris la musique. Non. La musique est pour lui un paysage dans lequel il se promène, où il aime à revenir. D’ailleurs il y revient souvent et je sais, pour avoir eu accès à la totalité de ses écrits, qu’elle jouera, dans sa vie, un rôle non négligeable. La musique ; la chanson surtout ; et la chanson du monde.

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