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Monsieur Roman
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10 août 2012

L'écriture de Maurice Roman

Comme à son habitude, Maurice Roman mêle impressions, souvenirs et réflexions : « Mon père ignorait bien sûr, parce qu’il n’y en avait alors aucun enregistrement que c’était l’année de la Symphonie n° 2 d’Albert Roussel, compositeur majeur dont je ne suis pas sûr qu’il ait même connu l’existence. » On sait à quel point le thème du souvenir, de la mémoire, de l’oubli mais aussi de l’invention de la mémoire et son rapport à la fiction le préoccupe. Maurice Roman semble persuadé que c’est par l’écriture qu’il retrouvera son passé au prix même de l’invention de ce passé. Tout homme a besoin d’un passé et s’il ne peut le retrouver, il doit s’en inventer un. D’où l’importance pour lui de la construction du roman, le refus de cette linéarité conventionnelle qui fait « comme si » il y avait, dans chaque récit, une rationalité de l’avant et de l’après. Il trouve ainsi que trop de romans sont, comme des démonstrations, tendus vers un but unique. Or, c’est ce qu’à tout prix il fuit. Il appréhende sa vie comme n’ayant pas plus d’importance que n’importe quelle autre et bâtie, de bric et de broc, plus par les circonstances, les rencontres de hasard, les incidents, le poids des aléas du monde que par des visées ou des décisions. La vie, dit-il, l’a emporté dans son fleuve boueux où il n’a pensé qu’à surnager. L’homme est si peu de choses, Maurice Roman n’a jamais rien maîtrisé, il n’est pas question pour lui de faire comme s’il était maître du récit de sa vie. Son récit se doit être aussi chaotique et approximatif que l’a été la mémoire qu’il garde de sa vie et tout le paradoxe auquel il se heurte est de donner à lire, de cette vie, un texte sans pour autant savoir lui-même comment il peut le construire.

Il s’en défend d’autant que la nostalgie ne fait pas de la bonne littérature. Or il a tendance à s’enfoncer en elle comme, dit-il, « dans une couette en plume ». Il pourrait ainsi (comme tant d’autres) raconter en détail la noce campagnarde qu’il n’a pas vécue, les quatre repas interminables, la bourrée dansée sur la place pavée du village: musicien jouant de la cabrette, rares jeunes gens courtisant les rares jeunes filles, enfants courant en tous sens, profitant d’une liberté inhabituelle pour faire quelques bêtises, soutane du prêtre passant parmi les convives, invités citadins de Carmaux perdus dans cette ambiance si rustique… Cette approche ne peut le satisfaire car il sait alors qu’il écrit. Or il ne veut pas écrire. Pas comme on attend qu’il écrive. Il veut trouver une écriture propre qui dise de façon particulière ce que sa vie, son souvenir, a de particulier. Car, dit-il encore : "La langue nous fait et nous la faisons, nous respirons, marchons, mangeons, aimons avec et dans elle, peu à peu, avant même nos premières paroles dites, nous devenons cette langue que nous utilisons, qui nous utilise et dans ce mouvement réciproque peu à peu devient autre et nôtre."

L’écrivain est autiste. Vivant dans un monde de mots, il façonne l’univers à la mesure de son vocabulaire. Les mots, leurs sonorités, leurs formes, les associations diverses qu’ils permettent, lui sont le monde ou, plus exactement la matière du monde avec laquelle il va élaborer, plus ou moins aisément, mais avec une grande jouissance, ces univers dont il est seul maître. Sentiment de toute puissance, il peut se passer des autres. Seul ce qui se disent ses lecteurs trouve grâce à ses yeux. Il en attend la reconnaissance de sa toute puissance, supporte mal les critiques qui risquent de lézarder l’édifice de son écriture. Il n’est pas parce qu’il écrit, il est écriture, étrange opération alchimique qui transmute l’argile de la banalité collective de la langue quotidienne en chair et sang. Ainsi il peut ignorer tous les mondes qui ne dépendent pas de lui, ne vivre que par et pour le miracle qu’il doit sans cesse maintenir, renouveler, de cette conjonction magique.

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