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Monsieur Roman
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25 août 2012

Photos d'enfance

Le thème central de Maurice Roman semble être la mémoire, l’oubli, le peu de traces que l’homme garde de sa vie dans son cerveau pourtant si encombré de mots et de phrases. Aussi s’efforce-t-il de trouver tout ce qui peut l’aider à reconstituer son passé. Ainsi des portraits et des photographies parmi lesquelles quatre de son enfance semblent avoir pour lui une importance particulière. La première, qui porterait au dos la mention « Maurice 3 juillet 1923 » le représente à sept mois : un gros bébé joufflu, potelé, ventre rebondi et plissé, assis, nu, sur un petit fauteuil improvisé avec deux coussins, l’un horizontal, l’autre vertical dont on ne distingue bien ni forme ni matière. Le coussin horizontal est recouvert d’un tissu bordé de ce qui semble être de la dentelle ; le coussin vertical, dans la mesure où son corps le laisse partiellement apercevoir, semble recouvert de ce qui pourrait être une housse faite au crochet. Ce poupon qui se tient assis semble déjà solide sur son siège, tête ronde semblant disproportionnée par rapport au buste, joues pleines, soupçon de cheveux au milieu du crâne, petites oreilles. La bouche, plutôt petite, est entrouverte comme si le poupon était saisi par l’objectif en train de babiller. Des yeux, ronds, assez petits laissant percer un regard vif, curieux, attiré par l’objectif du photographe, attirance souligné par le geste de la main droite en train de se tendre et de s’ouvrir vers quelque chose que la photo ne montre pas. La main gauche, un peu floue, certainement prise en mouvement, s’est glissée dans son entrejambe dissimulant le sexe. Les pieds aussi semblent en mouvement, les orteils surtout et davantage encore, parce que plus flou, ceux du pied gauche. Tout en lui montre plaisir de vivre et désir de découverte.

Sur la deuxième photo (« Maurice juin 1924 »), il aurait donc dix huit mois, il est assis au bord de ce qui semble être une table recouverte d’un gros tissu — on dirait bien un tissu assez épais —  imprimé, ou brodé, de quelque chose comme des feuillages. Les photos noir et blanc mettent le monde à distance, font perdre des informations, personne ne saura donc jamais la réalité précise de ce qui pourrait être une nappe. Le fond, à quelque distance de la table est très «sfumato»: mur sale ou peint, tableau, fenêtre et, si c’est une fenêtre — solution que suggère quelque chose comme le bas d’un cadre que coupe le dos de l’enfant ainsi que, peut-être, la verticale ouverte d’un vantail partant du coude gauche pour monter jusqu’au bord supérieur de la photographie — si c’est une fenêtre, elle ouvre sur un possible paysage d’eau (mer, lac, océan, étang) et de nuages sur lequel se découpe le haut du corps de ce jeune enfant de dix huit mois. Le visage toujours aussi rond, coupé en deux par l’éclairage traçant le profil droit sur la face, joues pleines, yeux ronds grand ouverts, vraisemblablement sur la personne qui le photographie, petite bouche serrée, quelque chose de figé comme si l’on lui avait intimé l’ordre de ne pas bouger, l’air sérieux, attentif, peut-être même vaguement craintif lui interdisant de sourire. Quelques mèches de cheveux que l’on devine blonds sortent d’un bonnet à bordure de dentelle qui souligne et enserre tout le visage. Or, de ce corps, ce n’est presque que le visage seul qui est visible tant l’enfant est couvert de vêtements. De ses deux mains, toutes deux posées sur le tissu de la table le maintenant dans un équilibre peut-être instable, seuls quatre doigts de la droite, du côté le plus éclairé, est vraiment visible ; la main gauche, semble-t-il posée à plat, s'efface dans l’ombre.

Traces donc dérisoires de ce que furent les plus de 700 000 minutes alors déjà vécues par le petit Maurice. La vie ne se maintient que sur le compost de l’oubli où fermentent les minutes mortes.

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