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Monsieur Roman
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16 septembre 2012

Oubli et mémoire

Disant qu’il n’a jamais écrit avant son autobiographie, Maurice Roman triche, son écriture est trop affirmée pour que cette affirmation soit vraie. Pour avoir accès à ses archives, je sais que tout au long des multiples aléas de sa vie, il a écrit, beaucoup, parfois même publié ici ou là, des articles, des nouvelles, des poèmes même s’il ne considérait alors l’écriture que comme un petit gagne pain ou une distraction. Ce qui a changé avec l’écriture de « Ma Vie », c’est que cette activité occupe désormais, dans son esprit, une place centrale. Il y a en effet chez lui comme un fétichisme des manuscrits car, tout en s’en défendant, il a beaucoup conservé… Est-ce l'installation sur un piédestal de la littérature qui en est la cause, peu importe, ce qui est sûr que c'est que ce culte sera d'autant plus fort désormais que les manuscrits vont rapidement n'être plus que des antiquités. Qui écrit encore "à la main" aujourd'hui ? Je suis donc d’autant plus heureux de pouvoir fouiller dans ses vieux papiers.
Maurice Roman a, semble-t-il en effet, et cela depuis très jeune, un problème de rapport à la mémoire et s’il a peu jeté de choses tout au long de sa vie, c’est certainement qu’il a vécu la perte comme un traumatisme : «Nous conservons si peu de choses, dit-il, des premières années qui nous déterminent comme si nous ne naissions que bien plus tard que le jour de notre naissance, comme si nous ne venions vraiment au monde que lorsque nous avons plusieurs années d’existence. Le premier réel de mes souvenirs, qui continue à m’intriguer parce que, lorsque j’en ai parlé à ma mère et à mon père, ils ne pouvaient le relier à rien, est celui d’une image. Un homme — bien que ne voyant pas son visage et ne sachant rien de son âge, je sais que c’est un homme parce que je suis assis sur des genoux d’un pantalon de velours — est assis dans un fauteuil. Il me semble que nous ne sommes que tous les deux car je ne revois rien d’autre du contexte. Il joue avec un gyroscope dont je revois avec précision les couleurs vert, rouge et jaune, ver de la tranche extérieure de la roue rouge, jaune de l’armature et de l’axe. Au bout d’un temps dont je n’apprécie plus la durée, il me laisse le gyroscope, me pose avec lui à terre. L’image s’éteint dans ma mémoire.»
De cette enfance, de son entour, il cherche partout des traces : «Il est dans le déluge de livres publiés et presque aussitôt oubliés, certains d’entre eux qui, pour des raisons particulières, trouvent en tel ou tel, des résonnances inattendues. J’ai passé la nuit à lire un petit livre trouvé hier dans la boîte à cinquante centimes d’un des bouquinistes du village. Il s’agit de « Tourments sur le causse » d’une certaine Juliette Le Sauze, publié en 1957 dans la collection Sic des éditions tout aussi oubliées P. Hervieux et R. Voyeux. Ce livre raconte, mal, dans un style très scolaire, une partie de mon enfance : la vie d’une institutrice dans les « écoles taudis » de Lozère avant la deuxième guerre mondiale. Si, par un hasard étrange, certains de mes « amis » s’intéressent à mes souvenirs, ils pourraient trouver là un complément d’information, un angle différent de vision.»
C’est donc dans la langue qui nous fait et que nous faisons, qu’il va chercher à revivre ce qu’il considère comme une perte : «nous respirons, marchons, mangeons, aimons avec et dans elle, peu à peu, avant même nos premières paroles dites, nous devenons cette langue que nous utilisons, qui nous utilise et dans ce mouvement réciproque peu à peu devient autre et nôtre.» L’écriture a toujours été pour lui une opération de sauvetage.

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