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Monsieur Roman
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13 mars 2013

Ce qui décide d'une vie

« La distinction entre les événements qui sont des signes du destin et ceux qui n’en sont pas n’est pas évidente. Comme je l’ai déjà signalé, nous vivions dans la nature en harmonie avec ses plaisirs et ses dangers, les uns pouvant rapidement prendre la forme des autres pourtant, les trois incidents dont je viens de parler — l’accident de René Bouissou, l’épreuve des vipères et l’égarement dans la tourmente — m’ont profondément marqué. Bien plus que d’autres qui ont été plus lourds de conséquences mais qui m’ont moins impressionné. Chacun d’entre eux, pour la première fois m’affrontait aux réalités de la nature humaine : notre fragilité fondamentale, notre impuissance face aux aléas de l’existence, le peu d’importance de cette intelligence dont mon père était si fier… Je n’avais que huit ans mais Je compris combien nous dépendions de peu de choses et moi, dont le prénom était celui d’un mort, reçus dans un éblouissement la révélation de l’importance de la vie ; je sus dès lors que rien n’était plus important que vivre, absorber jusqu’au bout les moindres instants qui nous étaient donnés. Tout le reste n’était que fioritures. Vivre, je voulais vivre et cette sensation ne pouvait passer que par une ouverture à la plénitude du corps. Respirer, bouger, goûter, sentir, toucher… absorber par tous les pores de mon corps la moindre des sensations qui passait à ma portée. Mais, en même temps, et de façon indissociable, je compris que la vie est, pour l’essentiel d’une banalité effroyable, poupées mécaniques, nous répétons chaque jour sans y penser les mêmes gestes et, aussi souvent, les mêmes paroles, qu’il est de trop nombreux jours où la répétition d’un même phénomène apporte la preuve de l’absurdité de ce monde dont nous ne sommes que les squatteurs.
Autour de nous les choses se défont, les peintures s'écaillent, les murs s'effritent, comme les robinets nos minutes de vie, sans cesse, fuient ; nous passons notre temps à colmater des brèches que, par la multiplication d’activités vaines, nous essayons de ne pas voir. Après ces trois événements, il me semble que je vieillis d’un seul coup, jetant sur le monde qui m’entourait et que je croyais protecteur, un regard différent. Dès lors, je regardais d’un autre œil ce que jusque là j’avais considéré comme étant la réussite de mon père, je désirai une vie autre, je ressenti comme l’appel du large, une envie profonde de voir ailleurs, plus loin, plus grand, de découvrir ce que je ne soupçonnais même pas mais dont j’avais, au travers de mes lectures, quelque chose comme une intuition.
Je ne le savais pas alors clairement et ne peux le dire qu’aujourd’hui où ma vie touche à mon terme mais c’est à ce moment là, dans cette période précise de mon enfance que le reste de ma vie s’est décidé. Rien de ce que j’ai fait par la suite ne peux en effet être compris si l’on ne prend pas en compte cette crise souterraine qui me bouleversa m’ouvrant à de nouvelles façons d’être au monde. C’est cet hiver-là que naquit vraiment l’adolescent puis l’adulte que je fus par la suite. »

Maurice Roman, dit qu’il avait huit ans lorsque, à la suite de trois événements qu’il relate dans son autobiographie — et que je vais devoir maintenant rapporter — le destin décida de sa vie future. Je ne sais si c’est une illusion construite au-delà de l’enfance mais, ce qui est certain, pour qui connaît sa vie, c’est qu’elle prit alors des directions inattendues.

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