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Monsieur Roman
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2 août 2013

des manuscrits sont pleins de trous

« Prendre un certain plaisir à parler de soi dans le vide, à jeter des mots au vent en espérant simplement, dans ces mots envolés, retrouver quelques sensations passées, parfois même oubliées. Parfois les mots se moquent de moi. Ils sont là, je le sais, je les connais, je les connaissais par leur nom, ils sont prêts à surgir du recoin de mon cerveau où ils se sont cachés, ils ne le veulent pas, me narguent, ne veulent pas venir. Et cette moquerie m’est douloureuse, je ne peux les appeler, j’ai oublié leur nom, espérant les attirer par ruse, je les désigne de quantité d’autres noms que je connais, je tourne autour, cherche des contextes qui leur plaisent, fais poindre d’autres mots, mais ceux dont j’ai le plus besoin, ceux dont je suis convaincu avoir besoin, font de la résistance, me raillent, m’humilient. Ce n’est souvent que lorsque je me résigne à leur disparition que parfois, alors, ils se montrent enfin. Le mot « interne » portait alors une telle menace que je ne parvenais pas à me l’attribuer, « interne, interné  interdit » formaient en mon esprit un amalgame indifférencié et contenaient plus de menaces que d’attentes. Mais c’était ainsi et, situation plus effroyable encore, désireux d’épargner le chagrin de ma mère et les manifestations qui n’auraient pas manqué, je ne devais pas le montrer. La crainte tournait en moi comme un ténia, invisible et pourtant si dangereux. »
Cette appréhension de Maurice Roman devant l’expression est permanente. Il ne me livre pas des pages mais des fragments que je m’efforce de réunir à la manière d’un puzzle faisant des hypothèses, à partir de ce qu’il écrit pour les rassembler avec ce qu’il n’écrit pas. Ses manuscrits sont pleins de trous, d’implicite, de sous-entendus et ce qui m’étonne au plus haut point c’est qu’il me laisse faire comme si, dès lors qu’il l’a écrit, figeant ainsi partiellement un souvenir, il se désintéressait de ce qu’il a écrit ? C’est ainsi qu’au passage précédent j’ai rajouté de moi-même le suivant :
« Comment dire les sensations de cette première journée de lycée ? J’étais alors si jeune… Le dimanche 2 octobre — car les internes devaient rentrer la veille au soir de la journée officielle de rentrée — fut une journée interminable, ma mère et moi nous avons feint de nous occuper à des tâches qu’elle jugeait agréables : aller promener le long de la rivière, visiter la cathédrale, aller en matinée au cinéma Le Trianon où l’on donnait (était-ce un avertissement aux futurs écoliers qui allaient trouver de nouveaux maîtres ?) « Docteur Jekill and Mister Hyde » de Rouben Mamoulian avec Fredric March… mais il fallut retourner chez la cousine pour chercher la valise. » Pour le faire coller à ce troisième fragment qu’il m’avait fait parvenir quelques temps auparavent : « Embrassades, recommandations et petite pièce de monnaie glissée dans la main juste avant le baiser sur les deux joues appliqué par des lèvres un peu moustachues. J’étais vêtu de neuf, ma mère portait ma petite valise. Je me souviens avec précision de presque tous les mètres du petit kilomètre de trajet entre l’appartement de la cousine et l’entrée du lycée, la texture du sol sous les pieds, goudron, gravier, terre humide encore d’un orage qui était tombé dans la nuit, les évitements nécessaires pour éviter les crottes de chien le long du boulevard en pente bordé de platanes centenaires où le vent semblait m’adresser un message. »
Est-ce une trahison ? Me prend-il pour son nègre ou estime-t-il qu’il y a entre nous suffisamment de complicité d’écriture pour ne pas se sentir trahi. Il n’en dit rien. Peut-être est-ce plus simplement qu’il est devenu trop indifférent au monde.

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