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Monsieur Roman
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29 août 2013

Maurice Roman et la mémoire

Ce que rapporte Maurice Roman dans son autobiographie peut, à certains, paraître d’une banalité affligeante, pourtant, comme chacun sait, si le diable se dissimule dans les détails, de divines surprises peuvent aussi y trouver leur place car ce qui m’importe dans ces textes, ce sont moins les faits — d’ailleurs peu nombreux — que la façon de les rapporter qui m’importe. Peut-être encore davantage, les espaces qu’il ménage entre les faits.
Maurice Roman centre, ce qui est naturel dans une autobiographie, ses écrits sur le souvenir, la mémoire et, par suite, l’oubli. Il dit se souvenir ou ne pas. Ainsi parlant des cartes postales que ses parents soi-disant recevaient et qu’il déclare conserver encore dans sa maison de Montolieu : « La première carte postale qui me « rappelle quelque chose » date en effet de 1929, juillet 1929 plus précisément. J’avais alors huit ans et la capacité de me souvenir. Elle représente deux chameaux sur une dune de sable conduits par un enfant. Au loin, une bande dans le mauvais bleuté de l’époque, qui pourrait être la mer ou un étang et un ciel nuageux vaguement rosé. Au verso, en écriture arabe et latine : Balade à Chenini – Tataouine. Or, si je ne me souviens pas de celle qui nous l’avait envoyée — car l’écriture en est indéniablement féminine —, je me souviens très bien de cette carte qui avait, pour mes huit ans, un parfum d’aventure et se différenciait totalement des habituelles vues d’églises, de monuments historiques, de bords de mer ou de rivière, de ponts… que mes parents recevaient habituellement. Ma passion du voyage est née de là. Je me souviens avoir demandé à mon père de me la prêter pour la reproduire maladroitement aux crayons de couleur sur une des feuilles de papier à dessin dont il se servait à l’école et l’avoir épinglée au-dessus de mon lit. Souvenirs et mystères. Qui donc pouvait avoir signé cette carte qui a en partie décidé de ma vie ? Chacune des cartes que j’examine est ainsi à la fois puits de mystère et résurgence de souvenirs. Tant de moments, de personnes, de mon cerveau où ils étaient conservés comme ces animalcules qui s’endorment pour des millénaires attendant d’être réveillés par une goutte d’eau. Notre mémoire est infiniment plus riche que ce que nous croyons. Les souvenirs ne sont que parce que nous nous forçons à les exhumer». Le souvenir est chez lui plus que le souvenir, le passé est reconstruction de l’avenir passé. Parce qu’il a consacré une grande partie de sa vie à des voyages plus ou moins lointains, il a besoin de cette carte comme signe du destin. S’il a voyagé, c’est qu’il y a eu cette carte ; s’il éprouve de l’affection pour ce neveu bohême dont il dit dans un de ses posts sur Facebook « Mon arrière petit neveu, Ronald Cline, est venu s’installer chez moi (pour quelques jours ?), du coup je n’ai pas fait grand chose. Je ne sais pourquoi ce garçon s’est pris d’affection pour moi pourtant, il arbore des idées punk-gothiques qu’il sait à l’opposé de tout ce que je suis et pense mais nous avons une étrange complicité. Peut-être parce qu’il est tout ce qui me reste de ma famille. Je n’en suis pas sûr, l’alchimie des sympathies est souvent étrange », c’est parce qu’il y a eu cette carte. Cette carte, c’est un signe de Rimbaud partant pour l’Abyssinie. Il n’est pas étonnant qu’il est également beaucoup écrit de poésie, Maurice Roman se voit en Petit Prince : avec ce souvenir — vrai ou faux, peu importe — il se construit comme ayant toujours été ailleurs. Le souvenir, jamais, chez lui, n’est matière morte mais, d’autant plus qu’il approche de cette mort qu’il redoute, pâte vivante qu’il doit continuer à pétrir pour s’efforcer à rester en vie.

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