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Monsieur Roman
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16 décembre 2012

reconstruire le passé

« J’ai dix huit mois, dit Maurice Roman, et le visage toujours aussi rond, coupé en deux par l’éclairage dessinant le profil droit sur la face, les joues pleines, les yeux ronds grand ouverts sur qui me photographie, une petite bouche serrée, quelque chose de figé comme si l’on m’avait intimé l’ordre de ne pas bouger, l’air sérieux, attentif, peut-être même vaguement craintif qui m’interdit de sourire. Quelques mèches de cheveux que je devine blondes sortent d’un bonnet à bordure de dentelle qui souligne et enserre tout mon visage. Or, de mon corps, ce n’est presque que lui seul qui est visible tant je suis couvert de vêtements. De mes deux mains, en effet, toutes deux posées sur le tissu de la table me maintenant dans un équilibre qui est peut-être instable, seule quatre doigts de la droite, du côté le plus éclairé, est vraiment visible ; la main gauche, semble-t-il posée à plat, disparaît dans l’ombre. Le corps, les vêtements qui le cachent est tellement éclairé qu’il forme une grande tache blanche au centre de la photographie. On imagine un vêtement de dessous qui pourrait être comme une robe, presque entièrement dissimulé sous un manteau de couleur claire boutonné du bas en haut, dissimulant jusqu’à mon coup et ne laissant visible que la rondeur de la face. Sur ce manteau lui-même, un mantelet de dentelle d’où émergent les manches du manteau. Peu de plis dans tous ces vêtements qui semblent neufs et que la lumière écrase. Sur la partie gauche du manteau, une poche, elle-même bordée de dentelle. Assis sur cette table, mes pieds sortent du manteau ne laissant apercevoir que le bas d’une chaussette, ou d’un pantalon, sur un fragment de jambe gauche. Ils pendent dans un vide accentué par le manque d’éclairage de la nappe couvrant la table qui coupe, dans une très légère oblique gauche-droite, l’image en une masse sombre sur laquelle se détachent les chaussures à lacets de tissu ou de cuir clair qui dissimulent mes pieds. L’ensemble de la photo, qui semble avoir été réalisée par un photographe professionnel, est figé, hiératique, presque solennel, d’où tout naturel a été banni.

Si je décris ces photos, c’est que je ne sais trop que dire de cette période de mon enfance que j’ai vécue mais dont je n’ai que des souvenirs rapportés. Les premiers mois de la vie sont, pourtant, comme l’affirment les psychanalystes, essentiels à la construction d’une personnalité et j’aurais bien besoin qu’un de ces magiciens de la mémoire m’aide à faire ressurgir les souvenirs enfouis car, seul, je suis démuni et perdu devant tant d'absence.

À défaut de pouvoir recourir à une mémoire trop trouée, je dispose, comme avec les quelques photos que j’ai décrite précédemment, de la manie de mon père de ne rien jeter. C’était un archiviste dans l’âme. Le moindre bout de papier, pourvu qu’il porte un signe le rattachant à un moment de nos vie, à une amitié, à un lieu visité lui semblait digne d’être conservé. Ce n’était pas un collectionneur, il n’aurait jamais gardé des timbres parce que c’étaient des timbres, encore moins parce qu’ils pouvaient avoir un jour quelque valeur ; lorsqu’il gardait des timbres c’était parce qu’ils figuraient sur une enveloppe dont l’adresse portait l’écriture d’un ami ou d’un membre de la famille et parce que, dans ce cas, ils indiquaient une date. »

À partir de cette remarque qui semble d’abord anodine, l’attitude de Maurice Roman change qui s’installe dans une quête active de ses archives. Tout au long de sa vie, plus ou moins consciemment, il a entassé des documents de toute nature dont il se propose de faire connaître à son lecteur les plus importants. Il va désormais s’efforcer à reconstruire son passé.

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