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Monsieur Roman
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6 mai 2012

L'instituteur et le village

Au village, l’instituteur était un dieu laïque. Le père de Maurice Roman étant célibataire représentait ainsi en plus quelque chose comme l’espoir dans un nouveau futur, chaque famille voulait l’avoir à tour de rôle à sa table. J’imagine que, bien qu’il soit venu se ressourcer dans cet espèce d’ermitage de l’éducation que représentait le village si isolé de La Roche, il devait plutôt apprécier de pouvoir, de temps à autre, sortir de son école, maison modeste et assez petite mais dont Maurice Roman écrit qu’elle avait des murs de granit aussi épais que ceux d’une forteresse. Elle ne comprenait en effet, au rez-de-chaussée, que l’austère salle de classe ; à l’étage, l’appartement de l’instituteur : trois petites pièces et une cuisine faisant également office de salle à manger. Tous les midis, il mangeait chez lui, mais les onze familles tenaient toutes à l’avoir à leur table à tour de rôle. Conscient des devoirs que lui imposait son image publique, il avait accepté leurs repas du soir, mais, désireux de faire preuve d’indépendance, il avait instauré une « rotation » immuable sur un cycle de trois semaines. De plus, il ne se laissait jamais inviter ni les samedis ni les dimanches, les réservant à d’éventuels déplacements vers le chef-lieu de département. Pour faire preuve de cet ordre et de cette justice dont il était un représentant, l’ordre de ses repas était le suivant: le premier lundi soir était réservé à la famille Mazel, le mardi aux Bouviala, le mercredi à la veuve Bouissou, femme alerte d’une cinquantaine d’années, le jeudi aux Chaptal, le vendredi à la vieille charmante dame Mazurel, le lundi suivant aux Champbreton, le mardi à la veuve Combes, femme un peu acariâtre d’environ quarante ans mais qui voulait absolument «tenir son rang». Le mercredi c’était la jeune veuve Durand et cette invitation était un peu plus délicate car cette jeune femme, était plutôt avenante, Maurice Roman rapporte ainsi que quand, quelques années plus tard, il fut en âge de s’en apercevoir, elle portait sa trentaine avec un charme indéniable. Le jeudi, chez la veuve Bonnal : 38 ans alors mais déjà asséchée, rabougrie par la perte de son mari sur le front qui la laissait avec quatre enfants à nourrir et une ferme médiocre à maintenir. Le vendredi, une autre veuve: Marthe Charrier qui bien que proche de la misère n’aurait jamais accepté que le père de Maurice Roman — qui, pour affirmer son sens de l’égalité républicaine, s’en faisait d’ailleurs un devoir — ne vint partager avec elle les quelques légumes de son jardin agrémentés parfois de quelques victuailles qu’il apportait lui-même. Le troisième lundi : la veuve Rousset dont les deux fils étaient mort à la guerre. Les soirs restant, jusqu’au lundi suivant, il dînait seul dans son école ce que, dit-il plus tard à son fils, lui faisait comme une semaine sabbatique.

Difficile «d’aller à l’essentie » d’autant plus que j’ignore ce que cet essentiel pourrait être. Maurice Roman ne construit pas son récit avec une grande rigueur, il divague, va où ses pensées le portent. Je ne sais exactement pour qui il parle, ne parle certainement d’ailleurs pour personne en particulier. Il se parle, s’écrit, sans vrai souci de lecteurs. Aussi ai-je quelques difficultés à donner à ses fragments de souvenirs une cohérence qu’ils ne portent pas. Je m’y efforce tout en étant bien conscient que cette reconstruction qui est mienne, d’une certaine façon, trahit la liberté du récit de ses souvenirs car ceux-ci n'ont de saveur que soutenus par la dynamique du présent, faute de quoi ils s’affadissent.

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